LABEL NUMÉRIQUE AU LYCÉE PYRÈNE DE PAMIERS : UNE BONNE LEÇON DE LIBERTÉ PÉDAGOGIQUE !

Le label numérique, octroyé par la Région Occitanie aux lycées, consiste en un contrat qui lie chaque lycée à la Région en échange de fournitures informatiques (un ordinateur portable) aux élèves et d’une aide à l’installation des différentes infrastructures: wi-fi dans toutes les salles de classe et réseau pour faire tourner toutes ces petites machines. C’est un investissement important pour la Région qui affiche ainsi à la fois son implication dans la politique éducative (et c’est bien son rôle de financer et d’entretenir les lycées ) et sa modernité. « 100 % de lycées connectés en Occitanie », visez un peu l’affiche pour préparer les futures élections, voilà qui sonne résolument novateur et en phase avec la start-up nation.

Malheureusement, depuis plusieurs années, le lycée Pyrène (ex-Castella) a poliment décliné l’offre de labellisation. Les professeurs ne veulent pas numériser davantage leurs enseignements, ne veulent pas toujours plus coller leurs élèves devant des écrans et se méfient de l’arrosage massif par le wi-fi.

Ces arguments, nous les avons élaborés ensemble en heure syndicale, en réunion pédagogique, et nous avions réussi à convaincre l’ancienne direction du danger de ce label, tant pour nos élèves que pour notre liberté pédagogique. Il y a trois ans exactement, le Conseil d’administration du lycée refusait la labellisation à une large majorité de professeurs, d’agents et d’élèves qui tous disaient non à l’intrusion de l’ordinateur portable dans nos salles de classe. M. Chibli, représentant de la Région au C.A. et vice-président en charge de l’éducation, quittait le conseil fort désappointé pour ne plus y remettre les pieds pendant trois ans… Trois ans pendant lesquels la Région et le rectorat ont mené une guerre sourde à la direction de l’établissement pour les faire revenir sur leur choix. En vain, et chaque année les professeurs ont réaffirmé leur refus du label.

Mais cette année, à la faveur du changement complet de direction, le rectorat a su diligenter un nouveau proviseur tout acquis à la cause du numérique et à la majorité régionale. Ni une ni deux, en pleine crise sanitaire, voilà que sans plus attendre, la labellisation refait son apparition à l’ordre du jour du CA. Il faut bien reconnaître que les temps y sont propices : le confinement et le passage en demi-groupe inquiètent les parents et ils voient dans « l’outil  informatique » le lien essentiel de leurs enfants avec le lycée. On n’a pas fini de mesurer les bienfaits de la COVID-19 sur l’industrie du numérique : jamais les GAFAM ou les constructeurs informatiques ne se sont aussi bien portés. La crise aussi est inégalement partagée dans nos sociétés…

Le proviseur – fort du soutien des parents, et de leur désir de voir leurs enfants équipés gratuitement d’un ordinateur, et sourds à tout autre argument pédagogique, sanitaire ou écologique – lance l’offensive lors d’un conseil pédagogique en ce mois de novembre. Et peu désireux apparemment de se frotter seul aux enseignants de son lycée, il demande le renfort de pas moins de cinq personnes extérieures à notre communauté éducative: et voilà que rentrent en colonne dans la salle quatre IA-IPR (ou faisant fonction ), tous plus ou moins directeurs de la DAN (Direction Académique Numérique), ainsi que le chef du service informatique à la Région. Force est de constater que la limitation des déplacements non-essentiels ou des interventions des personnes extérieures pour cause de crise sanitaire ne s’applique pas à la DAN. Mais qu’importe, ils viennent dialoguer, ces braves collègues, ne rien imposer surtout, co-construire dans le respect de notre liberté pédagogique. La leçon était bien apprise, la récitation en nov-langue a eu à peu près lieu malgré les interventions critiques des professeurs, et le quarteron de fiers numérisateurs a pu rentrer à la maison satisfait du travail accompli.

Il ne restait plus au proviseur qu’à suffisamment garnir le CA pour être sûr de ne pas être mis en minorité par les enseignants et les élèves, qui après tout n’ont pas à décider de la façon dont ils veulent faire cours. C’est la démocratie, nous explique-t-on. Alors pour une fois, il ne manquait personne, ni parents subitement tous présents (première fois depuis des années que siègent les deux listes), ni la communauté de communes (qu’on n’avait jamais vu et qu’on ne reverra probablement jamais), ni la mairie (Mme la Maire de Pamiers voulait son lycée numérique et n’a pas cru bon venir dialoguer avec les enseignants – c’est la démocratie on vous dit ! -) ni la Région, qui a semble-t-il fourni un GPS à Monsieur Chibli pour qu’il puisse retrouver le chemin du lycée dans lequel il n’avait pas remis les pieds depuis trois ans… Les enseignants, très minoritaires finalement, ont pris une bonne leçon de liberté pédagogique et auront la satisfaction de voir leurs élèves doter avant Noël de leur ordinateur. A noter que pour l’instant ils ne serviront à rien puisque les infrastructures du lycée ne permettent pas de les faire tourner en réseau. Quant à notre vice-président délégué à l’Education Kamel Chibli, il célèbre sa victoire dans la Dépêche en appelant les élèves qui n’ont pas eu leur ordinateur à « s’en prendre aux professeurs du lycée »… (voir article suivant : https://fsu09.fsu.fr/un-vice-president-de-region-appelle-a-sen-prendre-aux-professeurs/)

Malgré tout, c’est sans amertume et la tête haute que nous nous voyons mis en minorité. Depuis trois ans nous avons débattu avec les collègues, fait avancer des idées, pointé les dangers du numérique sur les enfants, réfléchi à ce que signifie l’intrusion de l’informatique et des procédures automatisées dans nos pédagogies. Notre questionnement a participé à l’évolution du SNES et de notre fédération sur le numérique (et le dernier travail de la FSU national sur la question rejoint bon nombre de positions que nous tenons depuis plusieurs années). Nous étions les derniers sur les 250 lycées que compte l’Occitanie à ne pas être labellisés, gageons que notre combat n’aura pas été vain et qu’il saura resurgir sous d’autres formes.

La section d’établissement FSU du lycée Pyrène.

En manière de post-scriptum, la fin de la motion que nous avons lue au CA le 17 novembre et que personne n’a voulu comprendre. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre…

« Refuser la labellisation n’est pas, comme certains aimeraient le faire croire, un refus de la modernité : nous refusons l’équipement individuel et les manuels numériques, et nous souhaitons voir la Région investir dans du matériel collectif de qualité, avec une mise en réseau efficace, pour permettre aux collègues qui le souhaitent de travailler librement avec l’informatique. Nous demandons également que soit poursuivie l’opération Ordi’Lib qui permet aux élèves boursiers la fourniture gratuite d’un équipement.

Enfin, nous nous demandons bien quel projet politique est à l’œuvre pour que la labellisation nous soit imposée avec une telle insistance : voir arriver lors d’un conseil pédagogique 5 inspecteurs, directeurs ou chef de l’exécutif de la Région et du rectorat pour porter la bonne parole peut éveiller quelques soupçons. Il y a longtemps que notre lycée n’avait pas bénéficié d’une telle sollicitude de notre hiérarchie… A croire que notre refus de la labellisation pourrait gêner la communication de la Région, et que celle-ci doit primer sur le libre choix des équipes enseignantes. Voilà qui augure bien des promesses de ne pas s’immiscer dans notre « liberté pédagogique » en commençant par nous imposer un projet dont nous ne voulons pas. Mais, c’est bien le propre de l’idolâtrie technologique que d’enfermer dans son système, et contre toute raison, ses utilisateurs. A ceux qui à court d’arguments nous font le procès de la posture idéologique, nous nous contenterons pour finir de citer une philosophe qui s’est toujours battue contre l’enfermement intellectuel, les préjugés, les idées préconçues et qui a fait de la recherche de la parole vraie la raison de son engagement. Peu de chances qu’elle soit ici entendue, mais citons toujours « D’une manière tout à fait générale, il est inévitable que le mal domine partout où la technique soit entièrement, soit presque entièrement souveraine.

Les techniciens tendent toujours à se rendre souverains […] La responsabilité du mal qui, lorsqu’ils y parviennent, en est l’effet inévitable incombe exclusivement à ceux qui les ont laissé faire. Quand on les laisse faire, c’est toujours uniquement faute d’avoir toujours présente dans l’esprit la conception claire et tout à fait précise des fins particulières auxquelles telle, telle et telle technique doit être subordonnée ». ( Extrait de L’enracinement, Simone Weil, p.259-60 ed. Folio Essais. ) »