Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a prévu de remettre au Premier ministre, le 21 novembre prochain, un rapport commandé par ce dernier sur le déficit des régimes de retraites en 2025-2030. D’après les informations que nous avons pu recueillir, ce rapport prévoit un déficit des régimes de retraites allant de 0,3 % à 0,7 % de PIB. Ces chiffres sont en réalité similaires à ceux contenus dans le rapport de juin 2019. Ce rapport n’apporte aucun élément nouveau susceptible de justifier de nouvelles mesures régressives. Il apparaît comme une stricte opération de communication.
Un déficit organisé pour justifier une dégradation des retraites pour toutes et tous
Ce déficit est tout d’abord construit de toutes pièces. Le COR lui-même souligne que « le solde financier du système de retraite […] dépend de manière cruciale de la convention [comptable] retenue ». Il acte ainsi que « la part des ressources consacrées au système de retraite dans le PIB diminue sur la période de projection ».
Ce déficit est mis en scène pour présenter des scénarios permettant, par divers moyens, d’augmenter l’âge effectif de départ en retraite et/ou de baisser le niveau des pensions. Alors que le gouvernement prétendait épargner les générations antérieures à 1963, il apparaît désormais qu’elles seront touchées, au même titre que les autres, par des baisses du niveau des pensions présentées dans le rapport du COR à la demande du Premier ministre. Quel que soit notre régime ou notre âge, nous serons bien toutes et tous concerné·e·s par cette réforme des retraites.
Pourtant le COR note que les réserves du système de retraite sont évaluées à 5,6 % PIB, largement suffisantes donc pour passer le cap de 2025. De plus, le COR est bien obligé de reconnaître que l’équilibre financier pourrait facilement être atteint par une hausse modeste de cotisations : en moyenne, 1 point de cotisation supplémentaire à l’horizon 2025. Même en se basant sur les évaluations de déficit du rapport, la situation, on le voit, n’a rien de dramatique.
Une baisse programmée du niveau des pensions
La baisse généralisée du niveau des pensions qui s’annonce est la conséquence logique du choix du gouvernement, fondamental mais jamais discuté, de plafonner les dépenses de retraites, au maximum, à leur niveau actuel (13,8 % du PIB). La proportion de retraité·e·s dans la population augmentant, c’est leur appauvrissement qui est ainsi programmé. La capitalisation deviendrait ainsi dans cette logique un complément indispensable pour les générations les plus jeunes… pour celles et ceux qui en auraient les moyens. Cette baisse du niveau des pensions, déjà programmée par les « réformes » passées, serait encore aggravée si le projet de système par points était mis en œuvre. Il diminuerait en effet automatiquement le taux de remplacement (pension/salaire) pour toute augmentation de l’espérance de vie. Les retraites et les retraité·e·s des générations à venir deviendraient ainsi une variable d’ajustement des finances publiques.
Remettre en cause ce dogme du plafonnement des dépenses de retraites est donc une nécessité pour éviter la dégradation de nos retraites. Les solutions de financement ne manquent pas (voir l’encadré 2).
Le choix d’une société solidaire
Derrière la question des retraites, il y a un choix de société. Nous voulons une société où la notion de solidarité intergénérationnelle ne soit pas un vain mot, une société où nous ne serons pas obligé·e·s de travailler jusqu’à n’en plus pouvoir pour le plus grand bénéfice des actionnaires, une société qui en finisse avec le chômage et la précarité. C’est aussi cela qui se joue dans ce combat pour des retraites dignes. Le fatalisme n’est pas de mise, des solutions existent à condition de construire les rapports de forces nécessaires pour les imposer. C’est pourquoi l’appel à la grève et aux manifestations à partir du 5 décembre est décisif, et nous appelons à le suivre massivement.
Paris, le 20 novembre 2019
1. Un déficit construit de toutes pièces Le rapport du COR que nous avons pu consulter pointe un déficit prévu pour 2025 compris entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros pour l’ensemble des régimes de retraite en 2025, soit entre 0,3 % et 0,7 % du PIB. Selon le COR, lui-même, ce déficit serait la conjonction de deux effets. Côté dépenses, la part des retraites dans le PIB resterait stable à 13,8 % d’ici 2025, ceci grâce à une diminution des pensions par rapport aux salaires, de l’ordre de 3 %. Le déficit proviendrait donc de la baisse des ressources affectées aux retraites qu’organise le gouvernement. Celles-ci passeraient, selon les projections du COR, de 13,7 % du PIB à 13,2 % en 2025. Ainsi, le COR fait l’hypothèse d’une baisse forcée des effectifs de la fonction publique et d’une hausse plus faible des salaires du public par rapport à ceux du privé (en particulier de la non-revalorisation du point d’indice de la fonction publique). Les cotisations versées par le secteur public baisseraient alors de 0,3 point de PIB. La quasi-totalité du déficit provient de l’austérité salariale et de la baisse des effectifs publics. C’est la double peine : les salaires stagnent, les effectifs publics décroissent ; c’est un argument pour baisser les retraites. La fixité des taux de cotisation est une convention comptable – et une décision politique – qui ne tiennent pas compte de l’obligation du gouvernement de financer les retraites du secteur public. Avec la convention comptable qui stabilise les cotisations et contributions du secteur public en pourcentage du PIB, le déficit en 2025 ne serait que de 8 milliards (0,3 % du PIB). Encore ce chiffre incorpore-t-il une perte de recettes de 2 milliards liée à la non-compensation des exonérations de cotisations et des moindres transferts de 2 milliards de la CNAF et de l’Unedic. La prévision est pessimiste quant à la baisse du chômage et à la hausse du taux d’activité des femmes d’ici 2025. Il n’y a pas de déficit important autre que celui résultant de conventions comptables. |
2. Il est possible et nécessaire de résorber le déficit et financer nos retraites. Pour contrer cette évolution et améliorer la situation actuelle, des recettes nouvelles sont nécessaires et possibles… à condition de remettre en cause ce dogme du plafonnement des dépenses de retraites. Tout d’abord, même en acceptant les chiffres du COR, la situation n’a rien de dramatique. En 2025, la dette sociale serait remboursée, ce sont donc 16 milliards, utilisés actuellement pour rembourser les marchés financiers, qui seront disponibles. D’autres pistes existent pour résoudre les déficits à court terme. Il faudrait que l’État respecte son engagement à compenser les exonérations de cotisations sociales, puis mette fin à ces exonérations. Elles représentent globalement une perte 5,2 milliards par an pour la Sécurité sociale et n’ont, de plus, jamais fait la preuve d’effets positifs sur l’emploi. À moyen terme, les projections du COR sont claires : une augmentation modérée des cotisations sociales (de l’ordre de 0,2 point par an) permettrait d’enrayer la baisse des pensions tout en maintenant la progression des salaires nets. Au-delà, il serait possible d’élargir l’assiette des cotisations sociales aux revenus financiers en soumettant à cotisation tous les revenus distribués. Rappelons que la France est championne d’Europe quant aux dividendes versés aux actionnaires. Une augmentation générale des salaires serait non seulement bénéfique en termes de recettes de cotisations sociales mais aurait aussi un effet vertueux sur la demande effective et donc sur l’investissement des entreprises. La question de l’emploi, et particulièrement de l’emploi des femmes, est décisive alors que les hypothèses du COR sont très conservatrices sur ce paramètre. De même, aller vers l’égalité de salaires entre les femmes et les hommes serait un puissant facteur de dynamisation de l’économie et de rentrée de cotisations. |